La course folle vs. la oisiveté


Une chose qui ressort de ce confinement, c'est le soulagement de ne plus avoir à se jeter dans tous les sens, d'être en course constante contre la montre et d'avoir la sensation d'être toujours à milles lieues d'en venir à bout avec la liste de choses à faire. 
Si savoir ne rien faire est un art, j'ai l'impression que la grande majorité des gens en sont loin de le maîtriser et je dois dire que j'en fais partie. Car oui, même en vacances on se donne des objectifs et des obligations, on s'attèle à faire enfin toutes les choses qu'on avait remis au lendemain depuis des mois, voire des années. 
Et si on se donne le droit de lire toute la journée, de binge-watcher Netflix pendant des heures ou de traînasser sur le net sans but et bien la culpabilité vient souvent trop vite gâcher le plaisir à nous pousser à se remettre en action.

Alors que dit la philosophie du yoga à ce sujet ?

Déjà on peut dire qu'avec le yoga on est loin du concept de oisiveté = pêcher qu'on retrouve dans beaucoup de religions, même si tous les anciens textes yogiques mettent l'accent sur l'importance de l'action, notamment la Bhagavad Gita dont c'est vraiment le message central. 

Rappelons-nous qu'il n'existe pas la notion de bien et du mal dans le yoga, on retrouve plutôt les notions de plaisir/souffrance qui finalement ne vont jamais l'un sans l'autre.  

Mais ici, sur cette parcelle de la Terre, nous nous traînons cette tendance à nous autoflageller pour un rien. C'est un résidu hérité de notre culture judéo-chrétienne et malgré tout le yoga au monde pour nous déprogrammer et nous rendre conscient de chacun de nos faits et gestes, on voit qu'on garde encore certains fonctionnements parce qu'après tout nos schémas de comportements sont bien ancrés.

Alors profitons de ce temps de confinement pour réfléchir à ce à quoi ça rime de courir après tous ces objectifs. Quand on sera sur son lit de mort en regardant en arrière, pourra-t-on se dire qu'on en a fait assez avec tout ça ? Pourra-t-on dire qu'on est satisfait ? Qu'est-ce qu'on regrettera ? Qu'est ce qui comptera réellement ? Qu'est ce qu'on estimera comme étant du temps perdu ? 

Peut-être se sera d'avoir passé des heures à déplacer des objets d'un point A à un point B (la poussière, les déchets...) après tout on estime que le français moyen passe 5 heures par semaine à faire le ménage, ce qui ferait 2 ans dans une vie entière. Peut-être se sera le temps passé à se déplacer (heureusement ce n'est pas les 2h de trajet quotidien du Parisien moyen). En tout cas, je pense qu'on est tous d'accord que le temps de qualité passé avec les proches est ce qu'il y a de plus signifiant. Alors plus on consacrera de temps pour cela, plus on sera satisfait de nous-même sur notre lit de mort. 

Mais à l'heure actuelle combien d'entre nous pouvons prétendre en être satisfait ? Suis-je la seule à courir trop pour trouver le temps de voir mes proches autant que je le voudrais ? Vous devez vous dire que c'est le comble quand votre prof de yoga vous avoue qu'elle n'a le temps de rien, mais détrompez-vous, entreprenariat n'a jamais rimé avec oisiveté.

Entrepreneur ou pas, on vit dans un système où on est tous sollicités de tous les côtés et les possibilités de se mettre en action sont tellement multiples et variées que rares sont les gens qui ne sont pas surstimulés, voire surmenés. Mais quand et comment dire stop ?

Prenons le temps de respirer et de réfléchir à un moyen pour ne pas repartir comme avant une fois sortis de ce confinement.

On pourra repartir avec de bonnes résolutions à être sages et en faire moins, se donner le temps de vivre. Le soucis c'est qu'un désir, une fois assouvi, en entraîne dix autres alors la course aura vite fait de reprendre...

Heureusement que le yoga est là pour nous donner le coup de pouce, nous montrer le chemin car ce n'est pas en étouffant ces désirs de faire et d'agir qu'on se sentirait mieux ou qu'on arriverait à notre lit de mort avec un sentiment de satisfaction serein.

Et si le yoga encourage l'action (dit karma en sanskrit), c'est d'abord parce que rester dans l'inaction favorise la multiplication de chitta vritti ou fluctuations du mental. Quand on cogite et rumine, la souffrance et la dissonance cognitive sont inévitables.
Puis, si l'on s'adonne à trop d'inaction on est pris dans un espèce de léthargie qui entraîne toutes sortes d'effets désagréables et on a du mal à se remuer quand le besoin d'action est là. Moins on en fait, moins on a envie de faire. Ce n'est pas la solution.

Le secret du yogi qui sait rester en action sans se fatiguer, sans se stresser, sans se jeter dans tous les sens, c'est de savoir diriger ses énergies, de savoir rester focalisé, de savoir quand l'action est nécessaire et quand le repos l'est aussi.

La clef sera l'attitude avec laquelle on sera dans l'action.
Dans le verset 47 du 2ème chapitre de la Bhagavad Gita, Krishna dit à Arjuna de ne pas laisser les fruits de l'action être sa motivation, mais de ne pas s'attacher à l'inaction non plus.

On revient donc au concept du moment présent et de la pleine présence, ce qui, appliqués à l'action va à force nous libérer de la création de nouveaux désirs et donc de ce perpétuel schéma d'accumulation de désirs qui entraînent les insatisfactions.

J'aimerais qu'on puisse tous se dire qu'on y retournera pas dans cette course folle qu'on surnomme the Rat Race en anglais. Nous ne sommes pas juste une roue dans un grand mechanism de production, nous avons d'autres rôles à jouer pour pouvoir vivre heureux et ensuite mourir tranquille. Nous avons un corps physique à nourrir et à abriter avec un toit et c'est pour cela que nous travaillons, oui pour avoir une raison d'exister également mais il ne faudrait pas que cela empiète trop sur le reste. Le bien-être familial, social et spirituel sont trop à prendre en considération également, est-ce qu'il est laissé à la fin de la liste de choses à faire ?
Comment nous allons retourner dans la course va être décisif, pour nous en tant qu'individu et en tant que société. Pour nos enfants, pour nos amis les animaux et pour la planète.
Nous avons une responsabilité et c'est le moment d'y réfléchir.

Le yogi ne peut pas atteindre la pleine conscience dans chacun de ses gestes et actions si on lui demande une productivité à 150% et si sa liste de choses à faire dépasse sa capacité. 


Si le yogi sait réellement être dans l'action sans être attaché aux résultats, il finira par atteindre la libération (moksha).


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog